Si les décideurs tirant les ficelles du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes se prennent à égrener des arguments techniques peu crédibles (saturation prochaine – hautement improbable – des infrastructures actuelles, dangers et nuisances liées au survol de Nantes, qu’on se garde bien d’essayer de régler), c’est bien lorsqu’il s’agit de présenter cette future structure comme un piédestal pour leur métropole qu’on peut discerner la petite étincelle dans les yeux de ces grands enfants gâtés.
Car en effet, peu importe dans le fond le projet pharaonique mis en avant, ce qui importe ce sont la croissance, l’emploi, le prestige et l’élévation au niveau européen pour la métropole Nantes-Saint-Nazaire et la région « Grand Ouest » dont certains voudraient qu’elle devienne la Californie du vieux continent. Pour cela, un des enjeux est de faire de Nantes un « hub », une sorte de concentrateur des flux commerciaux, intellectuels et culturels à portée internationale ; c’est là qu’intervient le projet du nouvel aéroport. Il est démesuré, à l’image de cette vision de ville hégémonique, « moderne » et « Haute Qualité Environnementale », parce que ça plaît au cadre supérieur. Dans la même idée s’inscrivent les projets de Ligne à Grande Vitesse (LGV) Bretagne-Pays-de-la-Loire, pour pouvoir se rendre toujours plus vite à Paris, ainsi que la rénovation de la gare de Nantes, prévue à l’horizon 2017-2018.
La préoccupation centrale des technocrates ligério-bretons, c’est d’accueillir toujours plus d’industries « de pointe » et autres entreprises dont ils ne doutent pas une seule seconde du caractère bénéfique. Certaines structures sont déjà à leur service, comme le quartier d’affaires Euronantes, entre la gare de Nantes et le quartier populaire de Malakoff, dont la restructuration ne manquera pas de pousser les plus précaires un peu plus loin du centre ville. On peut également citer le projet d’Institut de Recherche Technologique Jules Verne, à Bouguenais (enseignement, recherche et innovation autour des matériaux composites), ou BioOuest, sur l’Île de Nantes, pépinière d’entreprises spécialisées dans les biotechnologies, en somme rien que du plaisir...
Dans cet ensemble s’inscrit aussi le souci de la qualité de vie, évidemment pas pour le quidam moyen, mais bien pour un certain type de public : l’hôtel quatre étoiles Radisson Blu dans l’ex-palais de justice, près de l’ancienne prison dont on a déjà relégué les occupants loin de la ville (cela aurait fait un bien triste voisinage pour la clientèle d’affaires) ; le lycée international sur l’Île de Nantes... Un nouveau cadre de vie à l’image des nouveaux ensembles commerciaux construits dans les centres des grandes villes : sécurisé, vidéo-surveillé, nettoyé de la pauvreté visible, décliné en activités toutes tarifées. La pression immobilière et le mode de vie incompatible avec le porte-feuilles des précaires laissent clairement présager une redistribution géographique des classes sociales, les plus pauvres étant encore une fois relégués aux périphéries. Processus qu’on a déjà pu voir à Nantes avec le quartier Madeleine-Champ-de-Mars, proche du centre, il n’y a pas si longtemps encore relativement populaire et même alternatif. Depuis, les grues sont passées et fleurissent les agences de communication.
Ces projets d’aménagement urbain portent en eux une forte spécialisation des différentes zones. Ainsi s’accentue la séparation entre habitat et activités (travail et loisirs, réduits à des démarches de consommation). Les liens entre habitants d’un même quartier se trouvent détruits, ainsi que toutes les initiatives alternatives, de solidarité notamment, incompatibles avec l’impératif de consommation à tout prix, la croissance économique étant présentée comme incontournable.
Lorsqu’on parle du projet d’aéroport, on évoque la perte de 1600 hectares de terres agricoles. Se limiter à ce chiffre c’est faire abstraction non seulement de tout ce qui va immanquablement accompagner cette infrastructure (hôtels, commerces, etc) mais aussi du projet global de métropolisation. En effet, Nantes est un peu la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf, avec le modèle parisien dans le rôle du bovidé. La métropole Nantes-Saint-Nazaire a gagné plus de 60 000 habitants dans les années 90, soit une progression de 8,9% ; les pontes tablent sur 150 000 habitants de plus entre 2012 et 2030. Cette tendance s’inscrit dans le contexte d’industrialisation évoqué plus haut : plus d’entreprises, plus d’emplois, plus d’habitants. N’est bien sûr jamais remise en cause la désertification des régions d’où viennent ces nouveaux venus, sans parler de l’étalement urbain, qui tend à prendre des formes de quasi-continuité entre les deux villes, chapelet de cités-dortoirs entrecoupées de zones industrielles et commerciales. À titre indicatif, sur l’aire de la métropole, 160 nouveaux hectares étaient urbanisés chaque année entre 1990 et 1999 ; les prévisions s’élèvent à 7-8000 nouveaux hectares entre 2004 et 2020, soit une moyenne de 469 ha/an1.
Enfin, le souci d’attractivité prend des airs de course à l’image. Chaque ville veut être celle où « il fait bon vivre » (sur des critères bien particuliers). Derrière tout ça se tient tout un système de marketing territorial, où l’on communique sur l’art et l’histoire, attrapes-touristes qui peuvent se ruer (en avion) sur de grand événements tels que Royal Deluxe (troupe nantaise de théâtre de rue mettant notamment en scène des marionnettes géantes) ou les Folles Journées (festival de musique classique). À Nantes est également fait un travail (de surface) autour de l’écologie. La ville a d’ailleurs été sacrée capitale verte de l’Europe pour 2013, on ne sait encore par quel tour de passe-passe. On est en plein dans le greenwashing, multiplier les actes symboliques relevant du développement durable pour pouvoir se permettre tous les saccages écologiques possibles en arrière plan. En matière d’image, l’obsession des dirigeants est alors de progresser dans les classements hexagonaux ou européens des villes, gagner des points dans des systèmes de notation à la pertinence plus que douteuse.
S’il faut remettre en question le gâchis écologique et le modèle de circulation induit par le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, placer cette démarche dans un refus des politiques d’urbanisation est pour le moins pertinent. Il faut lutter pour que les travailleurs puissent jouir d’une véritable qualité de vie : stopper enfin l’exode rural et maintenir la vie et les activités dans les campagnes, prendre en main la gestion de nos quartiers et surtout refuser les activités nuisibles ou inutiles, afin de pouvoir travailler tous, moins et autrement.
Per-Ewan, Interco Nantes
1 : Éléments pour un diagnostic, équilibres et dynamiques du territoire, Syndicat Mixte du SCOT de la Métropole Nantes - Saint Nazaire , 2004.