- Comment et pourquoi est né le collectif ?

Gaëlle : Notre collectif s’inscrit dans un mouvement national né en France depuis le mois de décembre, en réponse à la réforme du chômage qui va accentuer la précarité de notre métier. Les différents collectifs (GAEL, CRAC, etc.) sont présents dans de nombreuses villes (Lyon, Paris, Tours, Strasbourg…).

Gaël : À Nantes, les précaires sont à l’origine du mouvement, soutenu.e.s par une partie de la profession. La mise en place du collectif a été très facile. On s’organise avec de nombreux échanges par mail et des AG autogérée.

- Y a-t-il des problématiques spécifiques aux précaires de l’archéologie ?

Gaëlle : Notre travail est en partie saisonnier, comme en agriculture et en médiation, c’est du printemps à l’automne qu’il y a des pics d’activité. Beaucoup de collègues vivaient donc du chômage pendant les 2 ou 3 mois d’inactivités d’hiver. En plus, les déplacements sont très fréquents partout en France pour trouver du travail.

Gaël : Quand on est embauché.e en tant que précaires, on est souvent embauché.e en tant que technicien.ne.s de fouille, donc en tant qu’ouvriers et non pas en tant que scientifiques, malgré notre bac+5 et parfois des expériences de terrain de 10 ou 15 ans. On ne nous permet pas de nous impliquer dans notre science.

Gaëlle : La précarité commence dès nos études. En archéologie on nous demande souvent d’être bénévole pendant les mois d’été pour nos diplômes et nos CV. Pour le coup, seuls les moins pauvres d’entre nous qui ne travaillent pas l’été ont cette possibilité. Précaire pendant les études, précaire après, on n’a plus aucune porte de sortie.

-Vos employeurs sont soit l’INRAP, soit des boîtes privées, soit des collectivités territoriales. Est-ce que ça change quelque chose sur le recours de ces employeurs à la précarité ?

Gaël : Tous les employeurs de l’archéologie préventive ont une activité qui repose sur une armée de chômeurs de réserve. Ils s’accordent tous à ne pas reconnaître nos diplômes et à nous sous-payer. Toutefois les pratiques changent d’un employeur à l’autre.

Gaëlle : Archéodunum (privé) a recours à l’intérim, ce qui leur permet d’interrompre nos contrats quand ils le souhaitent en cas d’intempéries ou quand la fouille s’est terminée plus tôt. Les collectivités territoriales et l’Inrap nous imposent des carences de parfois plusieurs mois et dans certains cas, ne gardent les travailleur.se.s que 2 ou 3 ans avant de changer totalement leur équipe.

Gaël : Partout, l’accès à des postes est refusé aux technicien.ne.s de fouilles qui sont presque tou.te.s embauché.e.s en CDD malgré l’existence de suffisamment de travail pour plusieurs temps pleins.

- Quelles perspectives se donne le collectif ?

Gaëlle : Notre première perspective sur le temps long est de faire naître et vivre une solidarité au sein de la profession afin de garder un lien et un ancrage et cela même pendant les périodes de chômage.

Gaël : Il s’agit d’un espace de lutte et nous espérons le maintenir le plus longtemps possible. Cela permet en effet de sortir de notre isolement respectif. L’objectif principal reste toutefois de changer nos conditions de vie et de travail et de repenser l’organisation de l’archéologie.

Gaëlle : À plus court terme, nous souhaitons participer au débat sur l’emploi et la recherche dans le préventif et porter notre voix devant les directions ministérielles durant les prochaines réunions qui auront lieu d’ici juin.

- Quelle articulation avec les syndicats déjà existants ?

Gaël :La syndicalisation n’est pas un sujet qu’on aborde beaucoup en AG. On ne se cache pas nos appartenances syndicales (2 CNT et 1 CGT dans le collectif). La défiance envers les syndicats est très présente en archéologie malgré une profession politiquement à gauche. Nous travaillons malgré tout avec eux pour faire remonter nos revendications au ministère où ils nous convient aux réunions en tant qu’expert.e.s.

Gaëlle : La précarité éloigne les collègues des syndicats : on a déjà du mal à se projeter dans sa vie personnelle et professionnelle, alors comment le faire dans un syndicat ?

Gaël : Très peu de précaires sont aujourd’hui syndiqué.e.s mais nous espérons que cela changera à terme. C’est un outil essentiel pour se défendre contre des pratiques de black listage qui existe dans notre métier par exemple. Légalement, le collectif ne permet pas de se protéger. Et nous on pense qu’il faut créer du lien avec l’ensemble des travailleurs !

- Comment vos revendications s’inscrivent-elles par rapport aux luttes déjà menées ces dernières années dans le secteur de l’archéologie ?

Gaëlle : Ce n’est pas la première lutte contre la précarité en archéologie. Les luttes sont toujours les mêmes et centrées sur ces problématiques depuis les années 90.

Gaël : À la fin des années 90 et au début des années 2000, l’ensemble de la profession se mobilisait pour une archéologie publique. Cette mission de service public, abandonné par l’État dès 2003, reste encore profondément ancrée dans l’esprit des collègues. Dernièrement, seules les entreprises privées embauchent durablement les jeunes, l’Inrap étant empêché de recruter. Les revendications chez les jeunes se cantonnent de plus en plus à des questions de salaires et de précarité et non à la création d’un grand pôle public d’archéologie.

Gaëlle : On a pourtant tout intérêt à transformer profondément une archéologie préventive qui ne parvient pas à nous fournir de stabilité, pour construire une archéologie plus égalitaire, écologique et plus scientifique.

- Est-ce qu’il y a une part du questionnement qui porte sur le sens du travail, son utilité sociale ?

Gaël : Il est encore tôt pour dire que ces questions sont débattues lors des AG du CLAN, mais certain.e.s l’ont discuté et évoqué et je pense que cela fera partie des prochains axes de réflexion.

Gaëlle : Finalement toutes nos réflexions sur l’organisation et sur la précarité de l’archéologie nous questionneront à terme sur la place de l’archéologue dans la société et le sens réel de notre travail. Cela nous amènera à reprendre en main notre pratique de l’archéologie.

Gaël : Peut-on encore accepter les destructions environnementales menées par les grands aménageurs, juste parce que cela nous donne du travail ? Comment faire une archéologie plus écologique ? Comment repolitiser notre science afin de lui donner une place dans les débats actuels ? Ces questions sont essentielles et nous devons prendre conscience qu’il faut partager nos données pour mettre fin au roman national une bonne fois pour toutes.